Le bestiaire occitan, à la croisée du mythe, du conte populaire et de la poésie, nous parle d’un monde intime, ancestral, où l’homme cohabitait avec la nature dans un échange symbolique constant. Bien loin des classements scientifiques modernes ou des bases de données naturalistes, le bestiaire occitan est une cosmogonie populaire, un univers vivant où chaque animal est porteur d’une mémoire, d’un enseignement, d’un lien sacré avec le monde.

🐍 De l’émerveillement paysan à la poésie sauvage : la leçon de Marcelle Delpastre
Impossible d’aborder ce bestiaire sans évoquer Marcelle Delpastre, poétesse-paysanne du Limousin, dont le Bestiari lemosin (Éditions Lo Chamin de Sent Jaume) est un chef-d’œuvre rare. Dans ce recueil, elle ne « décrit » pas les bêtes. Elle les raconte. Elle les fait parler en creusant dans la mémoire collective, dans les savoirs paysans oubliés, dans les peurs et les émerveillements des campagnes.

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<p>"Mai de 100 pajas sus las vachas, 20 sus las polas…", disait un lecteur occitan, fasciné. Chez elle, la vache n’est pas une donnée économique. Elle est une présence, presque divine, qui veille, qui nourrit, qui accompagne.</p>
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Le bestiaire devient ainsi initiatique, presque chamanique. Un moyen d’entrer dans une compréhension plus vaste du monde, à travers le regard des anciens et des animaux. On pense au Kojiki japonais ou au Popol Vuh maya, tant cette parole animale devient sacrée.

🦅 Max Rouquette : la symbolique envoûtante du vivant

Dans une tout autre tonalité, le Bestiari 2 de Max Rouquette (Éditions Fédérop) joue avec les symboles et la sensualité du monde animal. L’écriture y est plus allégorique, lyrique, parfois teintée de mystère.

Chez Rouquette, chaque animal devient un double de l’homme. Le corbeau, le loup, le taureau, tous sont des figures du désir, du pouvoir, de la solitude, de la tragédie. On retrouve ici l’écho des bestiaires médiévaux chrétiens, comme ceux inspirés du Physiologus, où chaque bête incarne une vertu, un vice, une leçon spirituelle.

Mais à la différence de ces bestiaires moralisants, Rouquette y glisse une sensualité païenne, tellurique, profondément occitane.

🐻 Chanter les totems : un bestiaire pour les enfants… et les anciens

Plus récent, le Chansonnier totémique Lang Vol.3 (collectif, avec CD et DVD – éd. Tròba Vox) propose une approche ludique et pédagogique du bestiaire occitan. Les animaux y deviennent des totems chantés, pour initier petits et grands à la richesse linguistique et symbolique de la faune régionale.

Le sanglier, le hibou, le renard y sont célébrés comme autant de compagnons de l’imaginaire. Ce bestiaire chanté prolonge la tradition orale, les veillées, les contes d’antan – mais avec un médium moderne.

🐐 Un bestiaire provençal enraciné dans le quotidien

Avec le Nouveau bestiaire provençal de Marc Dumas (éditions CPE), on plonge dans une écriture plus ancrée, presque ethnographique, où chaque animal devient un personnage de village, à mi-chemin entre la fable et le carnet de terrain.

L’auteur y capte avec finesse le lien entre langue, territoire et faune locale. C’est un bestiaire de terrain, du concret, du vécu. Et pourtant, l’humour, la tendresse et la poésie y sont omniprésents.

🦄 Une longue tradition médiévale : de l’amour aux enluminures

Ce bestiaire occitan moderne s’enracine dans une tradition très ancienne. Au Moyen Âge, l’occitan a produit plusieurs œuvres fascinantes, comme :

• Le De las propriotas de las animanças (XVe siècle), traduction occitane du Physiologus.
• Aiso son las naturas d’alcus auzels e d’alcunas bestias, imitation du Bestiaire d’amour de Richard de Fournival (XIIIe s.).
• Le Breviari d’amor de Matfre Ermengau (XIIIe s.), véritable encyclopédie poétique en occitan, illustrée de multiples bêtes réelles ou fabuleuses.

Dans ces manuscrits enluminés, la bête n’est jamais anodine. Elle est messagère, miroir, guide spirituel. Et toujours profondément humaine dans ses travers comme dans ses beautés.

✨ Un patrimoine à relire, réinterpréter… et transmettre

Le bestiaire occitan, loin d’être un simple folklore, est une clé d’accès à une autre façon de penser le vivant, de dire le monde. Entre poésie et ethnographie, entre oralité et érudition, il nous offre une écologie du regard, une mémoire de notre lien intime avec les bêtes, les plantes, les forces de la nature.

Et dans un monde numérique de plus en plus déconnecté du vivant, relire ces bestiaires, les chanter, les illustrer, les partager, devient un acte de résistance, de réenchantement et de transmission.

🐾 Pour aller plus loin :

Bestiari lemosin

M. Delpastre conte dans ce beau livre tous ses savoirs sur le monde animal : sur les bêtes domestiques et sur les bêtes sauvages, y compris les oiseaux, les poissons, les insectes…  un savoir recueilli des anciens, mais aussi de ses propres observations… « Ce que j’ai voulu vous dire, vous faire voir, vous faire sentir, c’est que tout ça se …

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